Stan Cuesta. 1992.
La première chose que je voulais vous dire, c’est qu’il y a beaucoup de gens, ici, en France qui aiment et comprennent vraiment votre travail, de vos débuts jusqu’à aujourd’hui, peut-être pas des millions de fans, mais des gens profondément touchés par ce que vous faites. Etes-vous conscient de ça, et est-ce important pour un artiste comme vous d’avoir ce type de « public » ?
C’est agréable de savoir que les gens écoutent toujours ce que je fais. Évidemment, ça serait bien qu’il y en ait plus. Nous avons joué à la fête de l’humanité, et j’ai vu tous ces kids qui n’avaient de façon évidente jamais pu nous voir sur scène, mais qui connaissaient les mélodies et les paroles de nos chansons. Ils avaient probablement dû écouter certains de nos anciens morceaux avant de venir nous voir jouer. C’est une simple question d’être visible et disponible. Oui, c’est bien. J’en parlais hier avec quelqu’un qui me disait : « Si tu avais à faire un coffret de tes chansons, qu’est-ce que tu ferais, tous les hits ? » et je lui disais « non, je le ferais chronologiquement comme si c’était une histoire, une évolution de ma façon d’écrire, en regard de ma vie et de la carrière du groupe. » Je pense que c’est ce qui attire un grand nombre de « nouveaux » vers nous. Nous vivons aujourd’hui l’ère du catalogue. En même temps, si j’avais 16 ou 17 ans aujourd’hui…C’est comme aller dans une librairie et d’acheter un livre qui s’appelle « Phobia », avec plusieurs histoires, l’une s’appelle « Still Searching », une autre « Scattered » ou « Only a Dream » et vous dites « J’aime cet auteur, je n’avais jamais entendu parler de lui. Vous avez d’autres livres de lui ? » et on vous répond « oui, mais ils sont épuisés, je peux vous en commander certains ». Et j’en commanderais. Et je pense que ça se passe comme ça pour un grand nombre de jeunes acheteurs dans le domaine musical.
C’est votre premier album pour un nouveau label, Columbia. Es-ce un changement pour vous ? Est-ce que cela donne de nouveaux objectifs au groupe, ou n’est-ce que du business ?
Je pense que la chimie entre une grosse compagnie et un artiste est importante. Vous ne pouvez absolument pas connaître tout le monde dans ces boîtes. Je suis à l’aise avec la personne qui nous a signé de même façon que je l’étais avec Clive Davis chez Arista. J’étais très mal à l’aise avec les gens de chez MCA. Le deal avait été passé avec un manager qui nous quittait et j’ai lu dans Billboard que j’avais signé avec MCA ! Je ne les avais jamais rencontrés. Chez Sony, je me sens en phase avec le directeur artistique et le chef de produit (les gens qui s’occupent de nous). Pour être réaliste, je pourrais être un écrivain existentialiste, je m’en fous… Mais je crois que pour rendre justice à mon catalogue, à l’ensemble de mon travail, je dois être aujourd’hui avec une compagnie qui sait comment exposer mon travail. Ce n’est pas qu’une question de faire des disques et de les sortir. Ce disque a pris deux ans à faire, j’ai mixé certaines des chansons quatre fois.
Le show business est quelque chose qui vous a souvent préoccupé, même dans cotre travail, avec des chansons comme « Everybody’s in Showbiz », « Lola », etc. Pour en finir avec ce sujet, quel est votre sentiment à propos du show business aujourd’hui, et bien sûr de son évolution, s’il y en a une, depuis le moment où vous avez commencé jusqu’à aujourd’hui: 60’s, 70’s, 80’s et maintenant 90’s, est-ce pareil, meilleur ou pire ?
Si vous y pensez comme à une boutique, la petite échoppe du coin, qui vend… disons des gâteaux (!), où tout le monde aime aller, c’est l’endroit où tout le voisinage se retrouve. Maintenant le magasin possède tout le pâté de maison, c’est un supermarché. Et plus il est grand, plus il y a de produits, et moins il y a de place sur les étagères… Les produits se battent pour une place sur les étagères. Ce qui se passe, c’est que la petite boutique qui achetait des gâteaux à des producteurs locaux, veut créer sa propre marque, les fabriquer en grande quantité, moins cher. Et ils créent l’offre, la demande et les consommateurs. Et ils contrôlent tout, parce qu’ils sont les seuls en ville. C’est ce qui se passe.
Si vous étiez adolescent aujourd’hui, vous lanceriez-vous encore dans cette histoire ?
C’est très difficile de penser à ça. Je pense que je jouerais de la musique. Vous savez, j’étais artiste, peintre, et j’ai perdu mes illusions au collège au sujet des peintres, des gens de cinéma, de théâtre. Mais l’art, c’était mon truc. Je n’aimais pas la tournure que ça prenait, ça n’était pas créatif. L’art graphique, le design. Alors j’ai été vers la musique qui me paraissait un domaine plus créatif. Je pense que c’est encore vrai.
Quels sont les artistes d’aujourd’hui que vous aimez, musiciens, groupes ou songwriters?
Il y a des bonnes choses. Nirvana, évidemment, j’aime leur single, pas tout l’album…
Votre nom apparaît souvent dans les chroniques ou les interviews d’autres musiciens comme une influence importante. Ça vous plaît ? Et avez vous parfois l’impression que quelqu’un, dans son travail, ses chansons, son esprit, suit votre sillage ?
C’est super quand quelqu’un se réfère à nous. Il y avait cette couverture de Billboard, la semaine dernière avec ce nouveau groupe pop américain qui sonne comme les Kinks et qui vend beaucoup. C’est un compliment, oui. Il y a tellement de bons nouveaux groupes. Je ne suis pas désolé pour eux, mais ils arrivent droit dans ce monde du « packaging ». Je suppose que nous avons été « vendus » aussi, cette photo le prouve (il me montre une photo archiridicule du groupe de 1965), mais d’une façon innocente. Ce n’est pas de leur faute, mais en particulier avec les vidéos, ils se soumettent au « packaging », ils acceptent de faire partie du monde matérialiste. Et c’est probablement la seule différence entre moi et eux.
Travaillez-vous parfois avec d’autres artistes, par exemple en produisant de nouveaux groupe, en donnant des conseils ou autre ? Parce que vous possédez votre propre studio et votre propre label.
Oui, je développe deux nouveaux groupes que je veux faire démarrer sur Konk, avec Dave. Je pense qu’il y a un retour chez les jeunes groupes à la vraie musique et plus seulement aux trucs avec des ordinateurs.
Sur votre premier EP pour Columbia, l’année dernière, il y avait cette chanson, « Did Ya », qui à mon avis sonne comme un classique des Kinks, qui parle de Londres dans les sixties, vu d’aujourd’hui. Etait-ce un clin d’œil à vos vieux fans?
C’était volontaire. Une parodie de nous-mêmes. C’est sur le Londres d’aujourd’hui, je marchais dans King’s Road, je regardais autour de moi, c’était en gros la même chose qu’avant, mais américanisé, avec des McDonalds, et j’ai pensé « est-ce que tout ça a vraiment existé, les swingin’ sixties, ou n’était-ce que quelques clichés préfabriqués pour magazines qui ont fait le tour du monde ? ». Ça parle de choses que nous aurions du voir arriver : « As-tu jamais pensé que le monde deviendrait aussi dingue, avec tous ces gens dormant dans la rue, retournant les poubelles pour trouver de la nourriture ? ». C’est une chanson personnelle.
L’amitié semble avoir une place importante dans vos chansons. Vous vous adressez souvent à quelqu’un ( » Rock’n’Roll Fantasy « , » The Informer « ). Est-ce un personnage imaginaire, ou pensez-vous à quelqu’un quand vous écrivez ce genre de chanson ?
Je crée un personnage, mais c’est généralement basé sur quelqu’un de réel. « The Informer »… J’ai commencé à écrire cette chanson il y a onze ans, qui s’appelait à l’origine « The Border » (la frontière), c’était au sujet de la division d’un pays, de ses groupes ethniques ou religieux, puis j’ai vécu en Irlande pendant deux ans, et c’est là que j’ai fini la chanson. Ca ne parle pas spécifiquement du problème irlandais, mais de deux vieux copains dans un bar qui ne peuvent pas boire ensemble, ils se rencontrent, et à la fin l’un dit « tu sais, je sais que tu es celui qui a trahi », quand il dit « je serai celui qui va te ramener chez toi ce soir », ça veut dire « te tuer ». Et il ne sera qu’une statistique de plus dans le journal, « un homme a été trouvé abattu dans Belfast ». J’ai essayé de faire une chanson poétique, mais principalement, c’est du réalisme brut, dont j’essaye de faire un poème.
Vous avez également enregistré une nouvelle version de « Days ». Pourquoi ? Avez-vous entendu celle d’Elvis Costello ? Que pensez-vous de sa version et de lui-même ?
Non, j’ai envie de l’entendre, j’aimerais bien. Oui, je le connais, il m’a dit qu’il allait la faire… Nous, on l’a faite parce que… Je ne sais pas pourquoi on a fait ce EP « Did Ya », ça n’était pas censé être vendu, juste un « teaser », et ils ont dit « voudriez vous réenregistrer une de vos vielles chansons », j’ai dit OK, et comme on jouait « Days » en concert…
Le nouvel album sonne différemment de « Did Ya », beaucoup plus Rock ‘n Roll avec de grosses guitares sur la plupart des titres. Je suppose que vous aimez toujours ça, être un groupe de rock ?
J’adore les power chords (accords plaqués), j’aime ça, ça fait partie de moi, de mon instinct. C’est une ponctuation. « Phobia », « Wall of Fire », toutes ces choses tournaient dans ma tête depuis longtemps. Pour revenir à votre question au sujet d’un nouveau label, c’est comme si j’étais libéré. Une autre idée, c’est que je voulais sortir. London était un label de dance, et je ne sentais pas que je pourrais m’exprimer… Et soudain on m’a donné l’opportunité de faire ces chansons. « Only a Dream » a été écrite vers la fin de l’album, je l’ai joué aux gens du label, et ils ont dit « super! », ce n’est pas avant de leur avoir joué que… J’ai dit à mon manager, « je pense que le disque va prendre une autre direction », pas comme une chanson garçon-fille, mais une chanson sur les relations, sur un homme isolé… Et soudain un jour, cette fille qui, normalement, passe sans le voir, dit « salut beau gosse, ça va ? ». Et toute sa vie change. Ça arrive. Nous vivons sur l’espoir et les rêves, peut-être ne devrais-je pas parler pour tout le monde, mais je le fais… Nous vivons d’espoir, jusqu’au prochain passage.
Vous semblez déçu par le monde moderne, tout particulièrement dans ce nouvel album, avec « Phobia », « Babies », « Over the Edge », « Surviving »…
« Over the edge » est une tragi-comédie, je l’imagine chantée par un clown dans un cirque. Par bien des aspects, cet album parle de l’homme titubant sur le rebord de la peur. Si vous pensez à cet homme, il est peut-être PDG et il en a marre. En bas des gens regardent, et d’habitude ils marchent vite, mais là ils sont soudain unis, parce qu’ils sont tous concernés, d’une façon ou d’une autre : certains voudraient qu’il saute, d’autres crient, « Ne sautez pas, ne sautez pas ». Pour une fois, le temps s’arrête, et les gens arrêtent de penser à la bourse, au déficit de la balance commerciale, ils sont concentrés sur cet individu. C’est comique et tragique à la fois.
Vous semblez vous amuser à vous autociter dans vos chansons, par exemple le début de « Drift Away », directement tiré de « Loony Ballon », qui est une de mes préférées. Ou « Destroyer », une sorte d’autre « You Really Got Me ». Dans « Don’t Look Down » et « Babies », j’entends le même vers, « It’s a long way to fall ».
Je n’aime pas m’auto parodier. J’aime utiliser des idées, comme un peintre que je connais, qui met toujours une figurine qui le représente, dans chacun de ses tableaux. Rembrandt faisait beaucoup ça. Peut-être est-ce ma façon de mettre ma signature. Pour « Drift Away », il y avait une raison spécifique, c’était une revanche, parce que je pensais que ce disque avait été gâché… On ne lui a pas donné sa chance. Et je pensais « quelque fois j’aimerais me laisser porter par le courant… ». Ce sont des vers humoristiques, tout n’est pas sombre. J’adore cette phrase : « Et qui blâmer, maintenant que nous sommes tous fauchés, cet homme là-bas qui pend au bout d’une corde ? », c’est de l’humour noir. Je pense encore que l’optimisme est très important. « Only a Dream » est optimiste, comment fait ce passage ?… (il chantonne POUR MOI !) : « I’ve got positive emotions ».
Il y a aussi cette chanson sur l’album, « Hatred » (Haine). Ça semble trop proche de la réalité pour n’être qu’une private joke. Est-ce que ça a été amusant de chanter ça avec votre frère ?
C’est humoristique, avec le sous-titre : » la haine (un duo) « . Ca pourrait être Sonny & Cher, Bush & Gorbi… Ce n’est pas juste une opposition. Quelquefois, avec Dave, c’est la haine qui nous réunit. Une nuit, après une session où il m’avait réellement rendu furieux… Il avait fait de super parties de guitare, du premier jet, et puis il m’a rendu fou… On a été dans ce restaurant, avec une bouteille de vin, et c’est sorti : »Pourquoi ne tombes-tu pas mort sur le champ pour ne jamais te relever ? ». Je pensais à ça dans ma colère. Le lendemain matin je pense à ça, et je trouve ça drôle… Quelle chose stupide à dire, on ne peut pas vraiment se relever une fois mort… C’est d’une stupidité tellement contradictoire, c’est comme cette double négation dans la chanson, je dis « tu me hais » et il répond « et je te hais », ce qui est la même chose, n’est-ce pas. Deux personnes tellement en colère que ça en devient risible. Un comédien célèbre m’a dit ça, la façon dont il obtenait des rires, c’est quand il était mortellement sérieux, en colère. Les gens adorent ça, les malheurs des autres… Et mon malheur à moi, c’est de jouer dans un groupe avec mon frère ! « Hatred » pourrait aussi bien être une histoire d’amour. J’adorerais vraiment voir Sonny & Cher en faire une cover.
Comment écrivez-vous une chanson ? Vous asseyez-vous à votre piano ou prenez-vous votre guitare en vous disant « OK, je vais en écrire une à propos de ceci ou cela »? Ou attendez-vous simplement qu’elles viennent ?
Parfois, le truc… Il n’y a pas de truc, mais il m’arrive de prendre des problèmes de la vie réelle et de les tourner en métaphore. (Il chante encore, « Surviving ») « Regarde nous aujourd’hui, beaucoup de paroles et rien à dire, si je semble un peu vague, c’est que j’ai un peu peur, je survis… ».C’est venu de façon inconsciente, au sujet d’une relation avec quelqu’un. C’est horrible à admettre, mais je l’ai fait. Et puis, avec « Phobia », j’étais dans un pub heavy metal, avec tous ces bikers, certains très doux, inoffensifs, si fiers de leur moto, amoureux d’elle. En fait, ils les traitent mieux que leur femmes…J’ai eu envie de faire un morceau si fort qu’il leur arracherait la tête. Et j’ai mis ces accords à l’envers, un peu illogiques (considérations techniques sur des changements d’accords inversé dont je vous fait grâce). C’était intentionnel, j’avais une vision très claire de ce que serait la chanson.
Une fois que vous avez cette idée, vous faites une maquette, ou vous jouez avec le groupe, comment ça se passe ?
Pour « Phobia », j’ai fait une vidéo. Une boite à rythme, ma guitare, j’ai branché la caméra face à moi, un ghetto blaster qui jouait le playback, et j’ai chanté. Et au milieu, dans le pont, j’étais dans le jardin de Sony (il chante » under a technicolor Ray » !), et puis dans la suite, je me retrouve au piano…C’était ma façon de leur transmettre l’humeur du morceau, sans l’écrire formellement… Avec « Scattered », je ne voulais pas qu’ils sachent de quoi ça parlerait. C’est une chanson très émotionnelle, que j’ai d’abord écrit en 1985, à la mort d’un de mes amis. Et quand on a été sur le point de l’enregistrer, je ne voulais pas qu’ils entendent les paroles. J’ai juste dit au batteur « Poum pahh… ». De temps en temps, si vous neutralisez votre jeu, comme le chant de quelque chose très émotionnel, en le jouant dur, sans aucune compassion, ça le rend encore plus sensationnel. Si tout est triste, c’est lugubre, ennuyeux. Là c’est grand. Je suis très content du pont, ça dure quelque chose comme 32 mesures, au lieu des 8 habituelles… (il chantonne) c’est très intuitif, j’ai écrit plusieurs mélodies sur ces accords, et on peut les mélanger. J’adore ça, ça m’amuse…
Vous passez du temps sur une chanson ou vous préférez le premier jet ?
Il faut que je fasse très attention avec le groupe, ne pas les faire jouer trop. Dave, Bob, Jim sont excellents, je sais comment les faire jouer ce que je veux du premier coup. « Scattered » est une première prise. « Phobia » aussi. Quelques autres ont du être refaites un grand nombre de fois, mais je ne vous dirai pas lesquelles… Le truc, c’est que si le batteur n’y arrive pas du premier coup, il commence à se faire du soucis, on sent la nervosité dans son jeu. Sur ce disque, j’ai utilisé le recalage.
Il n’y a plus de pianiste sur ce disque, c’est vous qui jouez des claviers. Ian Gibbons fait-il toujours partie du groupe ?
Non, nous avons un nouveau clavier, pour la scène. J’ai joué les claviers, oui, je l’avais déjà fait sur « Low Budget ». J’ai appris ça de Mort Schuman (!). C’était dans les sixties, je n’avais pas écrit un hit depuis trois mois, mon manager était très inquiet, alors ils m’ont envoyé Mort Schuman ! Il est venu chez moi, dans ma petite maison, il s’est assis et il m’a dit : « Écoute, Ray, tu ne sais pas jouer de piano. Moi non plus. Mais, quand ils enlèvent ta partie de piano au mixage, il y est encore. Parce qu’il donne le drive du morceau, et les autres jouent en fonction de ça. » Et j’ai eu envie de retourner à ça. C’est comme mon jeu de guitare. Il y a beaucoup de gens comme ça. Chrissie Hynde est comme ça. Chris Thomas, son producteur, enregistrait toujours sa guitare en premier, parce que toute l’énergie venait de là. Les songwriters sont rarement des virtuoses, mais retirez leur partie, et quelque chose manque.
Allez-vous tourner ? Où ? En Europe et en France ? A part à la « Fête de l’humanité », nous ne vous avons pas vus depuis longtemps…
Oui, nous allons faire quelques dates. Je pense qu’à Paris, il y aura une sorte de concert surprise, probablement deux fois dans deux endroits très différents. Ça va être amusant. J’ai très envie de jouer ici.
Parlons de théâtre. Avez-vous des projets dans ce domaine ?
Oui, j’écris aussi une musique pour un ballet, pas de paroles, juste instrumentale. J’adore avoir des projets dans différents domaines, je vais probablement faire un album solo, j’ai un tas d’idées en réserves pour des chansons qui ne sont pas forcément pour les Kinks. Parce que je crois toujours que je fais des disques pour les Kinks, « Phobia » est un disque des Kinks. Il y a quelques chansons, comme « Still searching », qui vont dans une direction que j’aimerais vraiment pousser plus loin. Pas faire une espèce de grand événement, mais simplement un disque honnête et humble, juste moi, ma guitare et quelques musiciens.
Les films ?
Oui, j’adore réaliser des films. Mais j’ai perdu mes illusions avec tous ces films venant d’Hollywood.
Il m’a toujours semblé que dans les sixties, il y avait une relation entre votre travail et les films typiquement britanniques de gens comme Tony Richardson, Karel Reisz ou Lindsay Anderson. « Loneliness of a Long Distance Runner » (je bafouille, il m’aide à retrouver le titre), « Saturday Night , Sunday Morning », « Morgan », etc. Que pensez-vous de ces films, les aimiez-vous à l’époque et voyez-vous un lien avec votre travail ?
C’est très étrange que vous mentionniez « Samedi Soir, Dimanche Matin », parce qu’Albert Finney est venu nous voir jouer à New York, juste au moment de notre nomination pour le Hall of Fame. Il est venu vers moi, et il m’a dit : « Ray, on l’a fait ! Je l’ai fait avec mes films, tu l’as fait avec ta musique. » . Il était saoul… Il est toujours saoul. Mais je n’avais pas réalisé cette connexion. C’était un esprit. Un mouvement. J’étais à l’école quand ces films sont sortis, et quand je les ai vu, j’ai pensé : « Mon Dieu, il y a des gens dans ces films qui ne parlent pas comme Laurence Olivier, mais avec des accents « middle class ». C’était très inspirant de voir ça, qu’il y avait des gens intéressés par des vrais personnages comme eux. « Les 400 coups », vous vous souvenez…(tu penses !), ce gamin perdu tout seul dans Paris, cette vie si triste… Ca a dû sortir à la fin des fifties… C’était presque sa version de « La solitude du coureur de fond », vous vous souvenez du dernier plan avec le gamin qui court sur la plage, c’est le même plan… C’était comme un mouvement mondial.
Que pensez-vous de cette sorte de revival du cinéma anglais, directement inspiré de celui des années 60 ? Je parle de Stephen Frears, Mike Leigh (« Life is Sweet » me semble provenir du même genre d’inspiration que certaine de vos grandes chansons classiques au sujet de la Grande Bretagne), Kenneth Loach.
Je connais Mike Leigh, oui. Le réalisme aussi, il faut être réaliste. Je ne connais pas tous les jeunes, mais dans les années soixante, il y avait l’espoir dans le futur et la nostalgie du passé. Ou plutôt l’appréciation du passé, je n’aime pas la nostalgie, je préfère l’appréciation. Aujourd’hui c’est teinté de réalisme, parce qu’il y a beaucoup de gamins qui apprécient le passé, ont de l’espoir dans l’avenir, mais chaque mardi ou jeudi, ils faut qu’ils aillent pointer au chômage pour toucher leur fric. C’est la réalité. Le truc, avec le héros de « la solitude… », je vais vous dire, c’est que le système voulait l’intégrer, ils savaient qu’il pouvait gagner. Dès le premier virage, il est en tête, et il sait que s’il arrive premier, il serait détruit par le système. Alors il s’arrête. De bien des façons, il y a là un parallèle à faire avec ma carrière.
Ça a peut-être un rapport avec l’écriture de gens comme Alan Stillitoe ou Colin Mcinness. Comme l’adaptation de son Absolute beginners. C’est la seule fois où je vous ai vu dans un film et je vous ai trouvé super. Vous l’aimez ?
Affreux! J’ai fait ce petit bout six mois avant que le film soit tourné. C’était quelque chose à montrer, une démo, pour obtenir de l’argent. Je n’aimais pas le script.
Avez-vous envie de raconter des histoires non seulement dans vos chansons, mais par le biais de pièces de théâtre ou de films ? Que pensez-vous des vidéos de vos chansons ? Je suppose que vous allez en faire de nouvelles, les réaliserez-vous vous-même ?
Je ne voulais pas les diriger, j’ai demandé à Wim de le faire, mais il finit son film pour Cannes, « Les ailes du désir II », ça a l’air fantastique, de la façon dont il le raconte. Je vais travailler avec un excellent photographe… Je veux faire « Only a Dream », et je crois qu’ils veulent « Ccattered ». Si je pouvais, le vrai fun, ça serait d’avoir Alfred Hitchcock pour réaliser « Phobia »… Je suppose que je devrais me rabattre sur Stephen King, ou John Carpenter.
Est-ce qu’elles vous intéressent d’un point de vue artistique, ou n’est-ce pour vous que du marketing ?
J’adorerais penser que c’est une forme d’art. Quelques-unes, parfois… Mais c’est réellement un outil de marketing, malheureusement. Je ne devrais peut-être pas le dire : je suis en train de discuter avec Wim Wenders. Il est possible que l’on travaille ensemble. Une collaboration.
Avez-vous l’intention d’écrire des romans, ou des mémoires, ou autre chose?
Je viens juste de finir mon premier livre, la première mouture. Ils veulent le publier cette année, ils sont tarés. Mais je l’aime vraiment bien…
C’est la première fois ?
Non, j’ai toujours écrit des tas de trucs, des nouvelles, mais je garde ça bien caché. J’ai écrit un script complet pour « Celluloid Heroes », et aussi pour « Muswell Hillbillies ». Parfois, c’est pour ça que ça nous prend du temps de faire un disque. Le temps que j’écrive ma version de ma vie.
Quels sont vos auteurs favoris ?
Oh la… OK, allons-y. Romanciers… J’aime Bernard Malamud, il a écrit « The Natural ». J’aime ses nouvelles. Isaac Bashevish Singer. Camus, « l’étranger », excellent. Graham Greene. J’aime assez Elmore Leonard, « La Brava ». J’aime Gunther Grass, « Le tambour », je ne suis pas un grand fan de Thomas Mann. Je lis beaucoup de poésie aussi, TS Eliot, Stevie Smith… Mes goûts sont éclectiques, j’aime lire Jung… Je pique des choses… J’adore Joseph Conrad. Vous savez il ne parlait pas anglais jusqu’à l’âge de 13 ans, et pourtant il a écrit quelques uns des grands romans anglais classiques. Il a bossé très dur pour ça. Hemingway, « The Old Man and the Sea », ce petit bouquin modeste, après toutes ces années, il finit avec ces 90 pages de pure magie.
Y a-t-il encore quelque chose que vous n’ayez pas réalisé, qui vous tient particulièrement à cœur, dans le domaine de l’art ou autre ?
Je donnerais n’importe quoi pour avoir écrit les paroles et la musique de « Jérusalem » (il déclame). Le texte est de William Blake… C’est en 5 minutes, tout son être qui passe dans ce texte. La même chose qu’Hemingway…
Vous pensez avoir vous-même réalisé un chef d’œuvre, du moins quelque chose qui reste dont vous serez toujours fier ?
Si je meurs demain, je voudrais que la BBC joue « Waterloo Sunset ». Mais les connaissant, il joueront probablement « Sunny Afternoon »… Et peut-être qu’en France, ce sera « All Day and All of the Night », parce que c’est cool…
Certains passeront sûrement « You Really Got Me »…
Pourquoi pas ? En fait, peut-être que je l’ai déjà écrit, mais je crois toujours qu’à l’horizon, au bout de la route, il y a ce petit point, et c’est mon « Vieil Homme et la Mer ». Ca serait super d’y arriver.
La chronique de l’album Phobia lire +
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