Dans la famille Hallyday.
J’ai rencontré David Hallyday chez eux, à Gstaad, j’allais skier là-bas et je chantais dans l’hôtel. Je lui ai donné une copie de Stanislas, parce qu’il était très proche de son oncle, Eddie Vartan, probablement plus que de son père. Sur le disque, on peut entendre la voix de Vartan, qui dit “Cette prise est meilleure”.
Là, David m’a fait : “Tu n’as pas rencontré ma mère ?”
– Non, c’est qui ta mère ?
Il m’a lancé un regard bizarre. Il ne m’a probablement pas cru.
Stan Cuesta.
2018.
Nick Garrie commence à chanter en public Boulevard Saint-Michel, en 1968. Pour échapper au service militaire, il s’exile un an en Angleterre – et rate mai 68. Puis il fait la manche à Saint-Tropez, où il écrit ses premières chansons. De retour à Paris, il signe avec Disc’AZ, le label d’Europe 1. Il enregistre un album somptueux, The Nightmare of J.B. Stanislas, produit par Eddie Vartan (le frère de Sylvie), qui ne sort pas… Dégoûté, il laisse tomber, avant de revenir régulièrement à sa passion, enregistrant ici et là des disques admirés par quelques happy fews (certains célèbres), obtenant même un hit en Espagne. Après sa redécouverte via diverses compilations branchées, c’est d’ailleurs le label espagnol Elefant Records qui publiera une version CD augmentée du fameux “Stanislas”… 40 ans après son enregistrement. Depuis, Nick a publié deux albums, dont le très beau The Moon and the Village fin 2017, et tourne dans de grands festivals, soutenu par des fans, membres de groupes comme BMX Bandits ou Teenage Fan Club. “Je n’ai jamais pensé à faire de l’argent avec la musique… Et je n’en ai jamais gagné !” Un véritable dilettante, au sens littéral : “amateur passionné de musique”.
Rock & Folk : D’où vient cet amour de la chanson française ?
Nick Garrie : Jusqu’à l’âge de six ans, j’ai vécu en France. Puis je suis allé en pensionnat, mais je revenais pour les vacances. Les premières chansons que j’ai écoutées étaient françaises. Celui qui m’a le plus influencé, c’est Moustaki, il faisait plus ou moins en français ce que je faisais en anglais. Ce que j’ai retenu de la chanson française, c’est l’importance de chaque mot. Chaque syllabe compte. Quand Brel chante “Ne-me-quit-te-pas”, c’est presque comme s’il crachait les mots. La version anglaise, “If You Go Away”, n’a rien à voir… Les paroles anglaises, en général, c’est n’importe quoi. Il y a des exceptions, comme Dylan, mais pas tant que ça… J’ai appris “Blowin’ in the Wind”, seul, en gratouillant, puis j’ai commencé à écrire mes propres chansons. Dylan a été important, mais j’ai été plus influencé par les Français pour la façon de les structurer.
R&F : Comment vous êtes-vous retrouvé sur Disc’AZ ?
Nick Garrie : Une histoire incroyable. On avait une très jolie voisine qui travaillait pour l’avocat d’Europe 1. Elle a organisé une rencontre entre ma mère, moi, et le patron, Lucien Morisse. Elle m’a dit, “Apporte ta guitare !” Je suis entré et il a dit – il était assez lugubre – [Nick l’imite, dans un français parfait], “Bon, je vous accorde cinq minutes, qu’est-ce que vous avez pour moi ?” Je lui ai joué “Deeper Tones of Blue” et il a sorti un contrat, “Signez là. Vous avez d’autres chansons comme ça ?” J’ai dit oui, il a dit, “on fait un album.” Et c’est la dernière fois que je l’ai vu !
R&F : Eddie Vartan ?
Nick Garrie : C’est AZ qui m’a envoyé chez lui, rue de Prony, tous les jours pendant deux ou trois semaines. Je m’asseyais par terre, je jouais mes chansons et il écrivait les arrangements.
R&F : Vous ne les aimiez pas tellement ?
Nick Garrie : Non, c’était trop. En studio, l’orchestre a commencé par “Stanislas”, je croyais qu’ils se chauffaient, je ne reconnaissais rien ! Vartan s’installait à côté de moi en cabine et posait son pied sur le mien quand je devais chanter. Puis on a eu une grosse engueulade sur “Little Bird”, que j’avais écrit comme un truc à la Beatles. Les musiciens jouaient ça comme s’ils se dépêchaient pour avoir le dernier métro. Quand il m’a appelé pour chanter, je lui ai dit, “va te faire foutre”. Il était blanc de rage. Un homme de son âge et de son statut… Je ne pouvais pas lui expliquer, j’étais trop impressionné, c’était LE producteur. Je n’étais jamais allé en studio, j’avais 19 ans. À la fin, quand on est arrivé à la dernière chanson, “Evening”, il n’en pouvait plus. Il m’a dit, “écoute, prends l’orchestre, fais ce que tu veux”. J’ai dit, “OK, qu’ils rentrent tous chez eux sauf le trompettiste”. On s’est assis tous les deux par terre et on l’a jouée comme ça.
R&F : L’album n’est pas sorti à cause du suicide de Lucien Morisse ?
Nick Garrie : Je pense, oui. C’est lui qui m’avait signé. Pendant six mois, ils m’ont baladé. Ils m’emmenaient déjeuner dans des endroits chics, sur les Champs Elysées, mais il ne se passait rien. J’en ai eu assez. Et comme je n’aimais pas le son du disque… Je n’en possédais même pas un exemplaire. Trente-cinq ans plus tard, je tape mon nom sur internet et boum, Stanislas : 1000 Livres ! Ils avaient pressé les disques, mais ils les avaient cassés, pour ne pas payer les droits SDRM. Un gars a dû en détourner, parce que quelques-uns sont réapparus… Il y a deux raisons à cette popularité, à mon avis : il n’y en a que très peu, et aujourd’hui, les jeunes aiment vraiment ce type d’orchestrations. Pas moi, mais bon…
R&F : Ça n’est pas bizarre d’être “redécouvert” pour un disque qu’on n’aime pas trop ?
Nick Garrie : Je fais attention à ce que je dis parce que… Un jour, je donnais un concert à Londres et j’ai joué des chansons de Stanislas. Une mère de famille Suédoise est venue vers moi et m’a dit, “Vous ne savez pas ce que cet album représente pour moi. J’avais un cancer et il m’a sauvée !” Et puis, il y a eu ce grand acteur… Philip Seymour Hoffman. C’était un fan. Il m’a écrit, “Vous avez fait le plus beau disque de tous les temps”… Il y a toute une série de gens comme ça. Scarlett Johansson est une grande fan. Je l’ignorais complètement. Elle l’a dit dans une interview pour un magazine espagnol, “J’écoute Nick Garrie sous ma douche !” [Rires]
R&F : Vous avez tout arrêté en 1970 ?
Nick Garrie : Oui. Je ne pensais jamais à Stanislas. C’est dans ma nature. C’était fini. Et puis mon truc, c’était le ski. J’ai monté un club en Suisse.
R&F : Mais par la suite, vous avez travaillé avec Francis Lai [Célèbre compositeur de musiques de films, ayant notamment obtenu un Oscar pour Love Story] ?
Nick Garrie : Un ami m’avait dit qu’il voulait me rencontrer. Je venais juste de voir le film de Lelouch dans lequel il jouait un accordéoniste aveugle [Smic Smac Smoc, de 1971, un nanar oublié]. On est allé chez lui, un immense appartement dominant le Trocadéro. Je croyais qu’il était aveugle ! On a fait une chanson en français, produite par Claude Righi, qui avait été chanteur [et auteur pour Ronnie Bird], sa femme avait écrit les paroles… C’était nul ! Mais ensuite, Francis m’a demandé d’écrire des textes pour lui. J’en ai fait une dizaine, dont “Love in My Eyes”, “Lovers” et “Smile”, de très bonnes chansons. Je suis allé les chanter en tournée avec son orchestre au Japon. J’adore ses mélodies. C’est aussi un type charmant.
R&F : Vous aviez changé de nom pour Nick Hamilton ?
Nick Garrie : Francis Lai m’a dit, “Si je fais un disque avec toi, AZ va tout ramasser. Tu vas changer de nom.” “Ok, je m’en fous.” Il a voulu m’appeler Nick Martin. J’ai dit d’accord. Je suis rentré chez ma mère et je lui ai dit, “Je suis Nick Martin.” “Certainement pas ! Ton nom, c’est Hamilton !” Son nom de jeune fille. Quand j’ai dit ça à Francis, il a fait, “excellent !” Il était en train de faire un film avec David Hamilton…
R&F : Vous avez été n°1 en Espagne ?
Nick Garrie : Oui, avec l’album Suitcase Man, en 1984. Je pensais que personne ne l’écouterait. Mais les Espagnols adorent ce genre de truc folkie, ils comprennent les paroles. Comme “Streets of London”, de Ralph McTell, qui a été énorme en Espagne. Les Anglais sont trop stupides, ils ne comprennent rien, ça ne les intéresse pas.
R&F : Et vous voilà en première partie de Leonard Cohen…
Nick Garrie : Je l’ai découvert en Espagne, en 1985… Quand j’étais jeune, je ne l’aimais pas. Je pensais qu’il essayait d’être moi ! Mais quand je l’ai vu sur scène, il était fantastique. On jouait devant 5000 personnes, j’étais terrifié. Mon guitariste espagnol ne parlait pas anglais. Après un concert, Cohen est allé vers lui avec une bouteille de champagne. Je lui ai dit, “Il ne boit pas !” Il lui a versé le contenu dans la bouche, “Maintenant, si !”
R&F : Il aimait votre musique ?
Nick Garrie : Oui, il a dit qu’il aurait aimé écrire une de mes chansons, “Back in 1930”, celle qui a été n°1 en Espagne. C’était comme un père pour moi. Il m’apprenait comment chanter et me comporter en public. C’était un homme profond. Tout ce qu’il disait… Tu étais content qu’il l’ait dit. Mais une fois fini, c’était fini. Je suis très timide. Je ne reste pas en contact avec les gens.
R&F : Et puis… plus rien jusqu’en 2007 ?
Nick Garrie : Je me suis marié juste après, on a eu trois enfants. Je n’avais plus de temps. J’ai monté une compagnie de gros ballons, genre montgolfières, pour des événements. Je ne jouais plus du tout de musique. Et le jour où j’ai divorcé, en 2007, j’ai écrit un album entier, 49 Arlington Gardens !
R&F : C’est comment d’être un inconnu célèbre ?
Nick Garrie : Mes enfants se foutaient toujours de moi, “Oh, mon dieu, Nick Garrie…” Finalement, l’année dernière, ma plus jeune fille, qui étudiait la littérature anglaise et américaine, a dû faire un devoir sur le protest folk des sixties. Elle m’a téléphoné et m’a cité dans son devoir. Son prof l’a appelée, “Quoi ? Nick Garrie ! C’est mon héros depuis toujours ! D’où le connaissez-vous ? ” “C’est mon papa…” Elle a eu son examen et depuis, ils la ferment tous !
Albums :
The Nightmare of J.B. Stanislas (1969, réédition Elefant Records, 2009)
The Moon and the Village (Tapete, 2017)
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